mardi, octobre 10, 2006

Scène 9 - Le mystère de la chambre noire

Quelque part, dans Paris - le crépuscule approche sans nuage. Avec la nuit qu'ils viennent de connaître, Salim et Olivier sont pour le moins étonnés de se trouver là, devant le Grand Rex à Paris, où va avoir lieu l'avant-première de James Bond vs Poison Ivy.
Ils ont reçus un coup de fil quelques minutes après qu'ils soient rentrés chez Olivier - dont la femme et les enfants dormaient encore d'un profond sommeil. L'homme à l'autre bout du fil leur proposa une somme monumentale pour l'achat de l'ensemble des photos - seulement il ne pouvait pas attendre : il les voulait le plus vite possible. Olivier parvint à imposer que la transaction se déroulât dans un lieu public, en pleine rue, afin de limiter les risques qu'il y ait une nouvelle fusillade comme chez Denesh.
Il n'était pas très chaud pour se lancer dans ce nouveau plan, mais Salim semblait confiant : "T'inquiètes, lui répétait-il en se caressant le menton, on ne risque rien à aller là-bas. Avec ce coup-là, on pourra aller faire le show à Las Vegas pour faire retomber la pression."
La journée avait été magnifique, presque douce. Olivier était resté chez lui, en se barricadant ; quant à Salim, il avait vaqué à ses activités comme s'il se moquait du danger.
La foule était nombreuse devant le Grand Rex, pour assister à l'arrivée du couple-star, Antoine et Emeline ; les hordes de fans hystériques s'étaient précipitées aux premières loges dés le petit matin, passant la journée entière agglutinées derrière les barrières dans l'espoir d'un autographe - souvent en vain, pourtant. Salim et Olivier avaient convenus avec l'acheteur qu'ils se trouveraient dans la foule, juste à droite de l'entrée du cinéma. Salim se prenait au jeu et se mit même à applaudir lorsque les limousines de stars commencèrent à affluer ; quant à Olivier, il jetait des coups d'oeils dans toutes les directions en espérant apercevoir l'acheteur avant que celui-ci ne prenne contact - c'était plus fort que lui, il n'avait pas confiance.
Tout à coup il sentit quelque chose pointer contre ses reins. Quelqu'un lui souffla dans l'oreille : "Ne bouge pas et tout se passera bien." Olivier sentit que l'homme le fouillait consciencieusement, sans trouver ce qu'il cherchait. "C'est Salim qui a ce que vous voulez, dit-il. _ Dis-lui de te filer l'enveloppe, discrètement, et sans qu'il se retourne".
Olivier s'exécuta et Salim ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil imperceptible en arrière, mais il ne vit que des fans - il n'y avait personne derrière Olivier qui semblât dangereux. En tout cas, personne qu'il remarquât.
"Voilà, fit Olivier en mettant l'enveloppe contenant les photos dans la main de l'homme. Donnez-moi l'argent".
L'homme ne répondit pas. Olivier sentit que la pointe dans ses reins disparaissait un instant, puis il entendit un "plop", puis un second qui lui traversa la poitrine. Il vit Salim s'écrouler et tomba avec lui. Il y eut d'autres "plop" très rapides, puis tout se brouilla.
La voisine de Salim s'apprêtait à lui balancer une baffe en sentant ses mains sur elle, mais elle se mit à hurler en voyant le sang partout - Salim et Olivier par-terre. En un instant, tout le monde se mit à crier, quelqu'un crut qu'il y avait une bombe et la panique prit la foule à la gorge - il y eut des piétinements, des mouvements de foule, une fillette fut piétinée et dut être emmenée à l'hôpital avant que la police ne parvienne à ramener le calme.

En s'éloignant à grands pas du quartier, l'homme au chapeau ne cessait de caresser l'enveloppe dans sa poche - il avait fait du bon travail ; récupérer les clichés aussi rapidement et sans encombre serait apprécié par ses supérieurs.

Dépêché sur place, le commissaire Didier V. engueula les agents qui tentaient de maintenir un semblant de calme : "C'est la Java ici, c'est pas possible ! Vous vous croyez où, nom de dieu ? Interrogez le public avec méthode, et conservez un espace autour de la scène du crime, on n'y voit rien saperlipopette !"
Antoine vint aux nouvelles auprès du commissaire, se plaignant de ce que ce meurtre foutait en l'air l'avant-première de son film : "Nan mais je crois qu'il y a un problème, là, commissaire. Vous ne pouvez pas retarder l'avant-première. Y a pas moyen. Vous savez que ce film sort dans deux jours à Singapour et à New York, là ? Alors allez faire votre enquête ailleurs, ok ?"
Emeline l'observait de loin, sans vouloir prendre part à la conversation. Elle détestait le commissaire depuis longtemps, et ses rapports avec Antoine s'étaient déteriorés. Alors que Jean-Marc L., l'adjoint du commissaire s'apprêtait à venir lui demander une photo dédicacée, elle lui tourna le dos et pénétra dans le cinéma, indifférente aux fans mâles hurlant après elle.

L'homme au chapeau pénétra par une porte dérobée dans un immeuble bourgeois du seizième arrondissement ; il avait marché jusque-là mais n'en semblait pas affecté. Il était près de vingt-deux heures à sa montre, ce qui voulait dire qu'il n'avait plus beaucoup de temps pour demander une audience, bien que le motif de sa venue aurait dû lui ouvrir toutes les portes. L'escalier secret qu'il prit le fit déboucher dans un ancien boudoir datant de Louis 15 - la reine y recevait ses amants à l'époque, ce qui avait bien changé.
Il y avait un ordinateur dans un coin de la petite pièce - il tapota un moment sur le clavier, puis alla se servir un verre, qu'il dégusta confortablement affalé dans le canapé.
Au bout d'un quart d'heure, il en était à sa troisième cigarette et son deuxième verre lorsqu'une porte s'ouvrit derrière une tenture - la pièce semblait totalement close, sans aucune porte visible, alors même qu'il y en avait au moins deux ; il n'avait jamais pu déterminer le nombre exacte de portes dans cette pièce, que ses collègues et lui nommaient la chambre noire.
"Vous vouliez me voir, Vincent ? demanda la femme en demeurant debout près du bar, sans se servir. Elle paraissait fatiguée, mais d'une grande attention. Elle attendit les bras croisés que Vincent exhale la fumée de sa cigarette.
"J'ai ce que vous vouliez, Madame, dit-il doucement.
_ Oh, vraiment ? s'étonna-t-elle en se détendant un peu. Comment avez-vous fait ?
_ Peu importe, répondit-il en posant sur la table basse l'enveloppe qu'il avait prise à Olivier et Salim. Il l'avait ouverte pour vérifier son contenu, mais ne s'était pas attardé sur les photos. Je tenais à ce que vous le sachiez au plus vite."
Elle s'assit enfin et attrapa l'enveloppe, dont elle parcourut les photographies rapidement.
"C'est parfait. Merci, Vincent."
Il se leva, écrasant son mégot dans un cendrier en or.
"Autre chose, Madame ?
_ Non... Ou plutôt, si. Assurez-vous que ceux qui savent se taisent. Le président n'a pas besoin d'avoir plus de maître-chanteurs que de raison." Elle avait un grand sourire en disant cela. Vincent la vit empocher l'enveloppe et se lever, repartant par où elle était venue.
Il emprunta à nouveau l'escalier dérobé et déboucha dans la rue. La nuit était complète, douce et claire. Une ombre se glissa près de lui.
"Salut.
_ Salut, répondit Vincent.
_ Alors ?
_ Il va falloir faire le ménage. Trop de gens se sont intéressés à cette fille ces derniers jours."
Samuel hôcha la tête. Tous les deux savaient ce que cela signifiait.

La portière passager fut entrouverte et Fred, inconscient, glissa sur le bitûme, avant que la voiture ne démarre brusquement et disparaisse.
Tout son corps le faisait souffrir horriblement, il n'y voyait presque plus, mais il eut la force de se traîner jusqu'au trottoir, et de là sur une pelouse. Il ne savait pas quelle heure il pouvait être, mais la nuit était suffisamment avancée pour que les rues de Paris soient complètement désertes. Il espéra qu'il tomberait sur une patrouille de police, mais c'était utopique.
Il se réveilla après un somme d'environ une heure. Ca allait un peu mieux et il put se redresser, en prenant garde à contrôler ses tremblements nerveux. L'homme qui l'avait interrogé semblait le connaitre parfaitement, mais Fred avait été incapable de l'identifier. Toute la journée, il lui avait fait subir un interrogatoire musclé afin de découvrir où était passé Thibault, qui avait pu tué Lizete, ce qu'il faisait là, quels étaient ses tuyaux pour gagner aux courses.
Fred, dans son désespoir, avait balancé tout le monde, mais il avait conservé ses tuyaux pour le PMU ; il y a des limites, quand même.
En rentrant chez lui, à l'aube, Fred constata dans la glace de l'ascenseur qu'il était un peu brûlé au-dessus du sourcil gauche - l'homme avait utilisé la lampe de bureau pour poser ses questions : "J'ai les moyens de fous faire parler", avait-il dit en imitant, mal, l'accent allemand.
L'ascenseur empestait la cigarette, et Fred eut soudain un drôle de doute. Personne dans son immeuble ne fumait ce genre de clopes. Brusquement il appuya sur le bouton du second, alors qu'il habitait au troisième.
Au second étage, il courut jusqu'à la cage d'escalier et attendit sans bouger. Le silence était absolu dans tout l'immeuble. Se pouvait-il que son imagination, la fatigue aidant, lui joue des tours ? Il se glissa dans la cage d'escalier et monta au troisième. A pas feutrés, il avança, dans une obscurité balancée par la lumière de la sortie de secours, jusqu'à sa porte.
De nouveau, il sentit l'odeur forte du tabac ; mais de son appartement ne venait aucun bruit. Et personne à son étage ne fumait.
Il s'apprêtait en maugréant à rentrer chez lui, se maudissant de sa paranoïa galopante, quand il entendit, distinctement, un objet tomber dans son salon. Puis des voix :
"Merde. _ Fais attention. _ Ouais, désolé". Il ne reconnut aucune de ces voix mais il savait qu'elles n'avaient rien à faire chez lui. Et s'il s'agissaient de flics, ils auraient allumés la lumière, ce qui n'était pas le cas.
En d'autres circonstances, il aurait défoncé la porte pour les prendre par surprise, mais Fred se sentait trop crevé pour tenter un duel avec au moins deux personnes, probablement dangereuses. Il préféra laisser tomber ; il se glissa dans la cage d'escaliers et regagna la rue.
Il ne lui restait plus qu'une seule solution. Trouver un endroit où dormir un peu et faire le point ; il ne pouvait pas aller chez Sheng, dont il se méfiait toujours un peu. En d'autres temps, il serait allé chez Lizete, mais là... Il ne restait qu'une personne qui pourrait l'héberger quelques heures : Naïla.



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