mardi, octobre 03, 2006

Scène 2 - Brockeback Mountain

Fred ne l'avait pas vu depuis près de dix ans, mais Sheng n'avait presque pas changé. Il portait comme autrefois une petite moustache à la Clark Gable, et seuls ses vêtements dénotaient le changement radical de statut qu'il avait connu depuis sa sortie de la fac. Il portait des vêtements uniformément noirs sous un manteau long au col relevé pour s'abriter du vent – la pluie n'avait pas cessé de tomber de toute la nuit et les nuages noirs s'amoncelaient au-dessus de l'Ile de France, menaçants.
« Qu'est-ce que tu fais là ? Tu as appris pour Lizete ?
_ Oui. Je te cherchais ».
Sheng l'avait entraîné dans l'arrière-salle d'un café, à deux pas de l'église ; ils se trouvaient à l'abri des regards, sans témoin, mais Fred savait depuis longtemps qu'il pouvait faire confiance à son ami pour ne pas profiter de cette promiscuité – il ne l'avait d'ailleurs jamais fait malgré les sempiternelles plaisanteries de certains profs, à l'époque de la fac.
Fred avait commandé un demi (« Pour se réchauffer un brin, rien ne vaut un demi », disait-il toujours) ; ses affaires étaient plutôt bancales ces derniers temps et il n'avait aucune mission à se mettre sous la dent.
De son côté, Sheng avait pris un coca light – il surveillait sa ligne depuis que son médecin généraliste lui avait diagostiqué un peu trop de mauvais cholestérol.
« Comment m'as-tu retrouvé ? demanda Fred en s'essuaynt la mousse sur la lèvre supérieure.
_ Je suis expert en localisation, rappelles-toi. J'ai utilisé ma bonne vieille technique de triangulation en prolog. »
Fred n'avait jamais rien compris à la théorie des intervalles, et il ignorait que Sheng non plus. En revanche, depuis qu'il avait quitté la police, Fred s'était un peu éloigné du milieu de la pègre, et s'il avait ouï-dire que son ancien ami avait pris sa retraite, il en ignorait la raison.
Comme tous les autres, ils ne se fréquentaient plus depuis longtemps, mais se retrouver seuls tous les deux dans cette arrière-salle d'un café, réveillait chez Fred le souvenir d'une belle amitié – pas toujours très virile il est vrai.
« J'ai appris que tu avais quitté les affaires ?
_ Oui. Mais ce n'est pas pour ça que je voulais te parler. J'ai eu accès à certaines informations confidentielles qui pourraient avoir un lien avec le meurtre de Lizete. Je ne peux rien te dire pour le moment, mais j'ai besoin que tu m'aides à pénétrer sur les lieux du crime ». Sheng, comme à son habitude, s'échauffait progressivement au cours de la conversation, et Fred devina qu'il se passait quelquechose de grave. Comme il s'en était douté dés le début, le meurtre de son amie n'était pas seulement le fait d'un malade mental, mais prenait place au sein d'une affaire infiniment plus complexe.
« Je ne suis plus flic, Sheng, comment veux-tu que je fasses ?
_ Je sais que tu n'es plus flic. Je sais aussi que tu connais encore beaucoup de gens dans la police. Il suffirait de lever les scellés pendant une vingtainte de minutes – juste le temps de jeter un coup d'oeil à l'intérieur. »
Fred avala une gorgée de sa bière, songeur. L'alcool lui montait un peu à la tête, mais il avait besoin de ce doux sentiment d'euphorie pour tenir le coup. Il avait passé la nuit devant la saison 12 de Lost et il avait la tête fracassée.
« Je dois avouer que j'aimerais assez y jeter un oeil, moi aussi. Il y a quelque chose de louche dans cette histoire, dit-il finalement en tâchant de s'ôter d'entre les dents un morceau de cacahuète. Ecoute, je vais voir ce que je peux faire. Mais j'avoue ne pas bien comprendre comment un ancien chef de la mafia peut s'intéresser à ce genre d'histoires ? Je ne peux pas croire que Lizete se soit intéressée à la mafia chinoise ? »
Sheng eut un rire bref qui sonna comme un jappement : « Détrompes-toi, elle n'enquêtait pas sur la Mafia, ça c'est sûr. Sinon, son corps n'aurait pas été retrouvé du tout.
_ Oh je vois.
_ Mais à force de fouiller partout, il y a fort à parier qu'elle a mis son nez là où il ne fallait pas.
_ Tu as des soupçons sur quelqu'un en particulier ?
_ Oui. Plein. Elle gênait les intérêts de beaucoup de monde. Il est même possible que ce soit de petits mafieux qui aient agi sans demander l'autorisation à leur hiérarchie, ce qui serait terrible pour eux si ça s'apprenait. A mon avis, il suffit de vérifier ce sur quoi elle travaillait en ce moment, et nous finirons bien par apprendre qui l'a tuée. »
Fred devina que Sheng lui faisait une proposition – mais travailler en binôme ne lui disait plus rien depuis l'exténuante expérience du projet EDF, et la disparition soudaine de Thibault, dont nul ne savait ce qu'il était devenu. Les journaux à l'époque avait longuement interrogé son entourage, et Fred lui-même avait dû répondre aux enquêteurs, mais les investigations n'avaient rien donné.
« Je travaille seul, Sheng. Et je ne travaille pas gratuitement non plus. Même pour Lizete.
_ Je suis prêt à t'engager pour résoudre son meurtre. Par contre, je veux que tu me promettes que tu ne parleras à personne de ce que tu trouveras ; comprends-moi, c'est une question de vie ou de mort pour toi comme pour moi. »

Fred avait fini sa bière mais il ne voulait pas bouger tout de suite. L'accord qu'il venait de conclure avec l'ancien parrain de la mafia chinoise lui semblait comporter un tas de risques inutiles, comme celui de se faire dessouder dans une ruelle sombre ; entre autres choses.
Mais, d'un autre côté, Sheng avait abandonné l'idée de se rendre lui-même sur les lieux du crime. Il lui faisait toute confiance pour apprendre ce sur quoi travaillait Lizete au moment de sa mort – l'idée que c'était là la seule motivation de Sheng faisait de la peine à Fred, qui n'était motivé, lui, que par la découverte du meurtrier et l'envie d'enfin pouvoir farfouiller dans les affaires intimes de Lizete.
Avant de partir, Sheng lui avait glissé un morceau de papier contenant l'adresse d'une péniche – à deux pas de la station Bir-Hakeim.
« Quand tu auras fini avec la chambre de Lizete, je veux que tu ailles voir chez elle. Ensuite, et seulement ensuite, rends-toi à cette adresse, lui avait-dit Sheng en insistant sur la chronologie. Il y a là-bas une personne que tu dois voir. »


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah.... Quel bonheur de lire tes textes Thibault XDDD ! même si c'est plus sérieux que les celebrissimes "aventures de Bubu et de Zack Galou" dont je suis une fan incontestée (et c'est incontestable!).

Pour moi qui avait lu la scene 2 sans avoir vu le titre, je me demandais si toutes ces allusions en demi-teinte allaient dans le même sens que mes idées XDD. Finalement, j'ai bien ri en voyant que j'avais raison !

Ah l'amitié entre hommes qui n'est pas très virile, toute une expérience XDD!

Glou a dit…

Tu auras remarqué, d'ailleurs, qu'aucun des deux intéressés n'a pris le temps de protester ...
Il était temps qu'ils sortent du placard :p

Anonyme a dit…

Lol ! Oui, oui c'est bien dommage. Je vais finir par croire que tout ce que tu as marqué est vrai mouahaha XD !

Glou a dit…

Ben voyons ! Bientôt tu vas nous dire que tu n'aimes pas Patrick Juvet !