jeudi, octobre 05, 2006

Scène 6 - Le Retour de la Momie

Il fut réveillé par une forte odeur de café.
En se redressant il sentit qu'il avait la tête qui tournait, et un goût de sang dans la bouche. Il se trouvait étendu sur un canapé en cuir, dans une pièce meublée de façon plutôt spartiate : hormis le canapé, il y avait une petite table basse couverte de journaux, un fauteuil plutôt vieillot, une table, une chaise et une grosse imprimante étiquetée "Bégonia". Par la fenêtre il vit qu'il était encore sur la péniche, la Seine glissait en silence, tout contre le hublot.
« Désolé Fred, je ne t'avais pas reconnu. »
Cette voix, Fred la resitua immédiatement, mais il n'aurait jamais pensé pouvoir la réentendre à nouveau.
Thibault passa près de lui et déposa une tasse de café fumant sur la table, avant d'aller s'asseoir sur le fauteuil, sa propre tasse entre les mains – pour se réchaufer. Il faisait froid et leurs souffles formaient de petits nuages devant eux.
« Par St Nicolas, tu n'y es pas allé de main morte, lâcha Fred en se frottant la nuque.
_ Tu as grossi, non ? J'ai eu un mal de chien à te traîner jusqu'ici. Pardon, mais je devais m'assurer que tu ne présentais aucun danger pour moi.
_ Un danger ? »
Fred avait du mal à reprendre ses esprits. Il but une gorgée du café brûlant, tout en observant son vis-à-vis. Thibault avait considérablement maigri, il portait les cheveux très courts désormais, et de petites lunettes en acier. Une barbe de quelques jours accentuait la maigreur de son visage.
« Tu n'es pas sans savoir que je suis censé avoir disparu.
_ Oui. Que s'est-il passé ? Pourquoi te caches-tu ? C'est à cause du projet EDF ? »
Thibault partit d'un rire bref et ironique : « Non, pas du tout. J'ai eu quelques problèmes avec un de mes personnages.
_ Comment ça ? » Fred se rappela que dix ans plus tôt Thibault écrivait dans un blog les aventures de Zak Galou. « Ca a un rapport avec Stefanono ?
_ Ouais. Quand ses supérieurs des Services Secrets se sont rendus compte de ce que je racontais dans le LST, il a reçu l'ordre de m'éliminer : je ne pouvais pas continuer à raconter ses aventures sans mettre en péril la sécurité intérieure de la nation.
_ Mais je croyais que c'étaient des conneries, pour s'amuser ! objecta Fred. Comment a-t-il pu en arriver là ? Personne n'a jamais pris ces histoires au sérieux ! »
Thibault haussa les épaules : « Je le pensais aussi. Mais peu après la fin de la fac, Stefanono est entré dans l'équipe des Super-Méga-Agents, et la direction centrale a décidé qu'il était temps d'arrêter de divulguer des secrets d'état sur Internet. J'ai essayé de leur faire comprendre qu'il n'y avait aucun risque, qu'il suffisait que j'arrête d'écrire. Ca n'a pas suffi. Un jour, Stefanono est passé chez moi, c'était la première fois qu'il y venait. Il a essayé de me tuer mais j'ai réussi à m'échapper. Depuis je me cache ici. »
Fred but son café en silence, méditant les paroles de son ancien ami.
« Comment Sheng connait-il ton existence ?
_ Dés que je me suis installé, j'ai pris contact avec Lizete – c'était un peu mon assurance-vie. Si jamais il m'arrivait quelque-chose, elle devait révéler dans la presse toute l'histoire. Je suppose qu'elle l'a révélé à Sheng par la suite. »
Cette révélation, si elle le blessait parce qu'il n'avait pas été dans la confidence, mettait l'accent sur les relations particulières entre Sheng et Lizete. Se pouvait-il qu'il y ait eu entre eux plus que de l'amitié ?
« Tu es au courant pour Lizete, je suppose ?
_ Oui, répondit Thibault en se levant pour aller se poster devant la fenêtre. Elle me transmettait une sauvegarde de tout son travail, au cas où il lui arriverait quelquechose. Là encore, j'ignore comment Sheng était au courant de ça, toujours est-il qu'il est passé me voir hier pour m'annoncer la mort de Lizete ; nous avons pas mal discuté.
_ Lizete lui avait dit où tu étais ? C'était extrêmement dangereux ! s'étonna Fred en songeant à l'avantage que le parrain de la mafia aurait pu obtenir en monnayant l'adresse de Thibault aux autorités.
_ Non, il a suffi qu'il utilise son système de localisation en Prolog.
_ Pff, je n'ai jamais rien compris à ce truc ! s'énerva Fred en tapant de la main sur la table. Comment a-t-il fait ? Tu n'as pas pu être repéré au radar !
_ C'est une technique bien plus complexe. Vu qu'on peut qu'on peut utiliser Prolog pour résoudre des sudokus, je suppose qu'on peut tout faire avec. expliqua Thibault en se dirigeant vers sa table de travail. Il y prit un classeur contenant la dernière enquête en cours de Lizete. « Voilà, c'est tout ce sur quoi travaillait Lizete avant de mourir, elle me l'a transmis par email depuis l'église. Je suppose que tu as fouillé là-bas ?
_ Oui. Et il n'y avait pas d'ordinateur. »
Cette nouvelle les inquiéta tous les deux. S'il n'y avait pas d'ordinateur, c'tait sans doute parce que le meurtrier l'avait emmené. Ou la police, auquel cas il suffirait à Fred de vérifier les pièces emportées sur le lieu du crime par le commissaire.
« Je vais devoir me trouver une autre cachette. Trop de gens la connaissent maintenant, et Zak Galou serait capable de vous torturer pour vous faire avouer. »
Il prit les deux tasses vides et alla les déposer dans la cuisine.
« Fais bien attention, Fred. Ces dossiers, je les ai parcouru, et il y a du lourd là-dedans. Lizete avait découvert quelque chose qui aurait dû rester secret.
_ Son travail a toujours été un peu flou pou moi, avoua Fred en se levant. Quand pars-tu ?
_ Au plus vite. Je ne peux pas prendre de risques.
_ N'y avait-il pas un autre personnage sur ce blog, qui pourrait t'aider ?
_ Bubu ? Je ne sais pas trop ce qu'il est devenu. Aux dernières nouvelles, il avait vendu son âme aux capitalistes et dirigeait une grande entreprise internationale. Je doute qu'il puisse et veuille m'aider. »
Thibault le raccompagna jusqu'à la porte, sans sortir sur le pont.
« Ca m'a fait plaisir de te revoir, Fred. Méfie-toi de Sheng. Il ne m'a pas tout dit sur cette affaire.
_ A moi non plus. Il est louche. Il l'a toujours été. Mais t'inquiète, je le connais bien.
_ Les gens changent. »
Fred sauta sur le quai et s'éloigna rapidement de la péniche. Le classeur des travaux de Lizete était caché sous son imperméable ; il devait en prendre connaissance au plus vite et résolut de rentrer chez lui.
Une longue journée l'attendait encore.

(NdLittle Endian : dessin fait il y a un bout de temps, donc ne concorde pas à la nouvelle)

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